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La revue Cinéscopie, est une revue trimestrielle qui s’adresse aux amateurs de cinéma : cinéphiles et cinéphages, collectionneurs, cinéastes amateurs et autres curieux.

44 numéros ont été publiés de 2006 à 2016.

Ce blog vous propose de découvrir les anciens articles de la revue et quelques nouveaux textes publiés au gré de mes envies.


Les opinions exprimées dans les articles sont de la responsabilité de leurs auteurs. Elles ne représentent pas l’expression de la rédaction.

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mercredi 5 novembre 2014

HISTOIRE - Animation - Le cinéma sans caméra

LE CINÉMA SANS CAMÉRA

Par Michel Gasqui






Et l’on inventa le Cinématographe utilisant de la pellicule cinématographique : bande souple en nitrate de cellulose pour commencer puis en acétate et tri acétate de cellulose. La mise au point de la technique de prise de vue cinématographique fut longue et parmi les difficultés qui durent être surmontées, la première fut la possibilité de photographier successivement un grand nombre d’images présentant des sujets en action, décalés légèrement d’une vue à l’autre. Le paradoxe qui me conduit à écrire cet article est que certains « cinéastes » se sont mis à réaliser des films en oubliant l’histoire du support qu’ils avaient entre les mains, en abandonnant le matériel de prise de vue, la caméra, et en effaçant, le plus souvent, la couche photo sensible qui devait permettre cette prise de vue, pour ne conserver que la bande souple perforée et créer des images dessinées ou peintes une à une, dans la tradition d’Emile Reynaud. Mais qu’est-ce qui poussa ces artistes à adopter cette technique digne des détourneurs d’images, des bricoleurs et autres expérimentateurs de tout poil ?

Qui fut le premier à tenter de réaliser ces « peintures sur celluloïd » ?

Le Néo-Zélandais Len Lye entreprit son premier dessin animé non figuratif en 1928 (Tusalava) mais avec la technique traditionnelle de l’animation. Auparavant, Viking Eggeling a fabriqué, en 1921, son « Horizontal-Vertikal Orchestra », suivi de la « Diagonal Symphonie » (en 1923), Richter a animé des formes dadaïstes et Fishinger a ouvert les voies de la musico-ciné-peinture. Tous travaux relevant de l’expérimentation et du non-conformisme mais n’ayant pas de relation directe avec le cinéma sans caméra. Le rapport est l’attrait exercé par la recherche picturale abstraite liée au mouvement au rythme et à la musique. Ensuite, Len Lye réalisa, en 1935, Colour Box, une expérience de cinéma sans caméra où il synchronise rythmes musicaux et dessins directs sur pellicule. Le film gagna un grand prix au festival international de Bruxelles. L’artiste était influencé par l’art moderne et l’art tribal primitif. Il s’intéressait ainsi à l’art maori, aborigène et polynésien.






Colour Box (Len Lye, 1935)

Oskar Fishinger, contemporain du Bauhaus, de Walter Ruttman et de Hans Richter, a eu une grande influence, par ses recherches plastiques et sonores, sur Norman McLaren. Le peintre étudia la possibilité de créer la peinture en mouvement par le biais du cinéma. Il créa un appareil pour réaliser des films abstraits expérimentaux. Il fallait placer un conglomérat de cires colorées en forme de parallélépipède sur une sorte d’affûteuse dont la lame agissait en tournant. La caméra dont l’obturateur était synchronisé avec le mouvement de la lame était montée face à cet assemblage. De cette façon, on pouvait filmer, taille après taille, les aspects changeants, tracés par les veinures à l’intérieur du bloc de cire.




Norman McLaren

Concernant la possibilité de reproduction du son synthétique sur pellicule, L. Moholy Nagy aborda la question dans deux articles publiés en Allemagne et en Hollande. Plus tard, le théoricien allemand Ernest Toch suggéra l’écriture directe du son sans le musicien, etc.
Mais c’est le Suisse Rudolf Pfenninger qui le premier influença McLaren avec le film Toenende Handschrift (L’Ecriture sonore). Celui-ci se composait d’une description de son système pour photographier un dessin en dents de scie sur la surface d’une bande son. Et d’un film d’animation avec une bande son synthétique.

En réalité la recherche de ces artistes cinéastes était plus dans la « mise en mouvement » des formes inertes, dans la recherche sur le mouvement que dans la recréation du mouvement. Nous sommes avec cette technique (ou ces techniques) dans deux problématiques différentes. Emile Reynaud avait bien recréé le mouvement avec des dessins animés alors que les cinéastes expérimentaux précédemment cités avaient élu le mouvement comme sujet de leurs travaux artistiques. Len Lye déclarait, durant ses études à Wellington : « … J’avais mon sujet favori, c’était le mouvement. J’inventait sans cesse mes propres exercices pour ce genre de développement ».
Norman McLaren en tant que bricoleur de génie se situe, à mon avis, entre les deux et c’est peut-être la raison pour laquelle il est le plus connu, le plus populaire. Norman McLaren fut influencé par les artistes surréalistes, en général, par Oskar Fischinger, par Len Lye mais aussi par les cinéastes d’animation Emile Cohl et Alexeieff et par les cinéastes soviétiques Poudovkine et Eisenstein. On peut considérer qu’il était cinéaste dans l’âme.

Colour Box de Len Lye fut-il le premier film dessiné directement sur pellicule ? Oui si on ne tient pas compte d’un film réalisé par Norman McLaren en 1933 perdu depuis et surtout, si l’on oublie La Revanche des esprits (1911) d’Emile Cohl réalisé avec du « grattage » sur pellicule.

Parmi les artistes/cinéastes ayant travaillé directement sur la pellicule, on peut citer :

- L’Américain Harry Smith, sorte d’alchimiste cinéaste qui a réalisé une œuvre unique en perpétuelle évolution dans laquelle des morceaux furent peints sur pellicule (en 1939) – d’après G. Bendazzi.




Pierre Hébert (au centre)

- A l’ONF, Pierre Hébert réalisa plusieurs films sans caméra : Histoire verte et Histoire d'une bébite (1962), Op Hop - Hop Op (1966), construit à partir de répétitions combinatoires de séries d'images. En 1982, Pierre Hébert réalisa Souvenirs de guerre, une histoire antimilitariste dont la majeure partie est gravée sur pellicule.

- Raymond Brousseau : a gravé deux films axés sur l'abstraction géométrique (Dimension soleils, 1970 et Points de suspension, 1971).

- André Leduc a dessiné sur pellicule La Bague du tout nu (1974).

- En 1985 Solveig von Kleist réalisa un film de 5 minutes en 35 mm : Criminal Tango. C’est une des rares illustrations d’animation sur pellicule par grattage, à des fins narratives. L’auteur gratta ses dessins avec une aiguille à coudre et pour les décors devant être reproduits, elle utilisa du papier stencil.




Criminal Tango (Solveig von Kleist, 1985)

- Caroline Leaf réalisa de la gravure sur pellicule 35 mm monochrome avec I met a man en 1978 (1 minute) et Entre deux sœurs en 1990 - sur pellicule 70 mm couleur, 10 minutes. Le film était ensuite réenregistré avec une caméra 35 mm (format plus « maniable »). Avec Entre deux sœurs, Caroline Leaf atteint une finesse de gravure exceptionnelle.




 Caroline Leaf

 - Quelques cinéastes indépendants canadiens, dont Richard Reeves (Linear Dreams, 1996) et Steven Woloshen (Cameras Take Five, 2003), ont acquis une solide réputation grâce à leurs films animés sans caméra.
- Dans le milieu du cinéma d’amateur, un collectionneur cinéaste de talent réalisa directement sur pellicule des histoires inédites créées entre autres avec les personnages de Forton, Les Pieds Nickelés. Il s’agissait de René Charles     et je lui consacrai un article dans la revue Infos-Ciné (numéro 52, décembre 2002). René Charles réalisa 16 films dessinés directement sur pellicule 35 mm allant de 5 à 15 minutes.




Between two sisters (Caroline Leaf, 1990)

Films de Norman McLaren réalisés sans caméra

L’auteur présente lui-même ses films comme étant expérimentaux. Les quelques commentaires qui parsèment cette filmographie sont propres à l’auteur de l’article et donc totalement subjectifs. Les notes techniques sont, pour une grande part, issues des commentaires accompagnant les films du coffret « L’Intégrale  de Norman McLaren »[1].

1938 : Love on the wing, 35 mm couleur (système Dufaycolor), 4’27’’ : métamorphose de dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal.

1939 : NBC Valentine greeting, 35 mm, noir et blanc, 1’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Inversion au tirage (dessin blanc sur fond noir).
A l’instar de Fantasmagorie d’Emile Cohl, il a en germe toute l’œuvre de McLaren dans ce film « primitif ».

1939 : Scherzo, 35 mm couleur, 1’25’’ : images et sons dessinés à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Boogie Doodle, 35 mm couleur, 3’18’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Loops (Boucles), 35 mm couleur, 2’39’’ : images et sons dessinés à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Spook sport, 35 mm couleur, 7’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Fonds filmés au zoom avec travelling (superpositions continues). Couleurs ajoutées au tirage. Réalisé en collaboration avec Mary-Ellen Bute.






1940 : Stars and stripes (Etoiles et bandes), 35 mm couleur, 2’17’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Le drapeau américain est à l’évidence le sujet du film, avec sa musique militaire, ses feux d’artifices qui ressemblent à des explosions d’obus.
Le sujet est dans le titre, pourquoi ne pas en profiter ? (N. McLaren).

1941 : Mail early, 35 mm couleur, 1’44’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples en travelling.

1941 : V for Victory, 35 mm couleur, 2’04’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Le message du film était de faire vendre des bons de la victoire.

1942 : Hen Hop, 35 mm couleur, 3’39’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Un film savoureux, frais, drôle et au rythme soutenu.

1942 : 5 for 4, 35 mm couleur, 2’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Couleurs ajoutées au tirage.

1943 : Dollar dance, 35 mm couleur, 4’05’’ : métamorphose de dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés au zoom avec travelling (superpositions continues). Fonds de nuages en papiers découpés filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Couleurs ajoutées au tirage.

1946 : Hoppity Pop, 35 mm couleur, 1’47’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur trois bandes de pellicule transparente. Ces trois bandes ont été combinées au tirage. Couleurs ajoutées au tirage.
Les configurations abstraites sont tracées directement sur pellicule, en synchronisation avec de la musique d’un orgue de Barbarie.
Il y a déjà, derrière cela, Emile Cohl et aussi Félix le Chat. Comment donner de la vie et de l’humour à des formes géométriques ?

1947 : Fiddle-de-dee, 35 mm couleur, 3’33’’ : animation de peinture appliquée en longueur et cadre par cadre sur pellicule transparente 35 mm.
Les éléments sont dessinés peints et grattés au son de la musique d’un violoneux, Eugène Desormeaux.
Il s’agit d’une danse, parfaitement en phase avec la musique, exécutée par des formes et des couleurs. Le rythme est enlevé et on ne s’ennuie pas une seconde.

1949 : Begone dull care (Caprice en couleurs), 35 mm couleur, 7’48’’ : peinture appliquée en longueur et cadre par cadre sur pellicule transparente 35 mm. Gravure sur pellicule noire 35 mm.
Trois pièces de jazz du trio d’Oskar Peterson, éléments visuels peints, dessinés et gravés sur pellicule par Norman McLaren et Evelyn Lambart.
Les signes, les formes, les taches et les couleurs sont en parfaite harmonie avec la musique de Peterson.
 







1955 : Blinkity blank, 35 mm couleur, 5’15’’ : Jeu sur la « persistance de la vision » et « l’après-image » dans la rétine de l’œil. Les images sont gravées et coloriées sur une pellicule noire opaque, avec une musique en partie improvisée de Maurice Blackburn. 
Un feu d’artifice, tendre et délicat allié à une très grande maîtrise technique font de ce film un joyau et un des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. La très belle musique de Maurice Blackburn et les images de McLaren sont en totale harmonie. Avec Blinkity blank, on atteint le « Cinéma total » et on peut dire que la musique est interprétée par un orchestre rassemblant quatre instruments à vent, un violoncelle, de la musique synthétique et des images gravées sur fond noir.

1956 : Rythmetic, 35 mm couleur, 9’35’’ : animation de chiffres blancs découpés sur fond noir. Il s’agit d’une collaboration de Norman McLaren et d’Evelyn Lambart et le son est gravé directement sur la pellicule.

1959 : Short and suite, 35 mm couleur, 4’47’’ : formes grattées, gravées et dessinées sur une musique de jazz de Eldon Rathburn.
Ce film possède une grande maîtrise de la forme, du rythme et du mouvement, je dirais presque au service de la musique.
 
1959 : Serenal, 16 mm couleur, 4’00’’ : McLaren utilise une foreuse pneumatique pour inscrire ou graver directement sur pellicule opaque la représentation des rythmes d’un orchestre populaire des Antilles. Il se sert d’un graveur comparable à celui dont se servent les graveurs forains.
Projetés dans une salle très obscure où l’on ne distinguait même plus l’écran, les signes blancs que faisait jaillir, par intermittence, le projecteur, ont vivement impressionné les spectateurs.
Les images sont répétitives et relativement ternes dans la première moitié du film. Elles deviennent sobres et splendides dans la seconde moitié.

1959 : Mail early for Christmas, 16 mm couleur, 40’’ : message de Noël du bureau de poste gravé sur la pellicule noire à l’aide d’un graveur. Le coloriage est effectué à la main. La musique est d’Eldon Rathburn. Ce message nous adresse quelques « implosions » subliminales de lettrage gratté à la main.

1960 : Lines vertical (Lignes verticales), 35 mm couleur, 5’50’’ : gravure sur pellicule noire 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Longs traits gravés à l’aide d’un stylet et d’une règle sur pellicule noire 35 mm. La couleur de fond est ajoutée par un procédé optique. La musique, composée et interprétée par Maurice Blackburn, sur un piano électrique, est incorporée en dernier.

1961 : New-York Ligntboard, 16 mm noir et blanc et muet, 8’59’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparent 35 mm. Feuilletoscope dessiné au stylo feutre.
Il s’agit d’une publicité touristique pour le Canada affichée sur le grand panneau lumineux de Time square à New-York.

1962 : Lines horizontal (Lignes horizontales), 35 mm couleur, 5’50’’ : rotation de 90° des lignes en noir et blanc du film Lignes verticales. Couleurs ajoutées au tirage.
La musique est de Peter Seeger, ce qui peut rappeler quelques souvenirs pour certains.

1965 : Mosaïc (Mosaïque), 35 mm couleur, 5’28’’ : copies noir et blanc de Lignes verticales et Lignes horizontales superposées optiquement. Couleurs ajoutées au tirage. Scintillements de couleurs. Son gravé sur pellicule noire 35 mm. Réverbération ajoutée lors de l’enregistrement.


Sources : Document festival d’Annecy 1983 – Mystère d’un cinéma instrumental par André Martin - Document festival d’Annecy 1963 – Notes et documentation rassemblés par Sophie Bataille – Norman McLaren, précurseur des nouvelles images par Alfio Bastiancich, Dreamland 1997 – Le Film d’animation, Giannalberto Bendazzi, La Pensée sauvage/JICA – L’Intégrale de Norman McLaren en DVD.




Ciné-fiche : Blinkity Blank. – 1955 - 1 page : 28 x 21,5 cm 
Ciné-fiche du film Blinkity Blank, réalisé par Norman McLaren en 1955. Le document propose une brève présentation du film, des motifs développés, des techniques utilisées, ainsi qu'un générique. Le document est en français.





Publié avec l’accord de Robi Egler, Les Ateliers de cinéma d’animation, éditions AAA-Animagination.




[1] Norman McLaren l’intégrale, coffret de sept DVD et un livret édité par le National Film Board of Canad (Office Nationale du Film du Canada). En vente notamment chez Heeza.


 (Article publié dans Cinéscopie n°12 - décembre 2008)

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