JIŘĺ TRNKA, dans ma collection…
Par Michel Gasqui
« J’ai toujours été attiré par ce
qui n’a pas été résolu. Lorsque les choses sont résolues, elles perdent leur
intérêt pour moi ». (Jiří Trnka)
Jiří Trnka, le roi de l’enfance et de la
poésie1, est né il y a cent ans, le 24 février 1912. Trnka, quel
drôle de nom, avec ses quatre consonnes qui se succèdent comme ça, sans
voyelle. Sa prononciation est presque aussi mystérieuse que celle du nom de sa
ville natale : Plzeň (on lit souvent Pilsen, pour simplifier !)
Parmi les films qui ont marqué mon
enfance, il y a deux longs métrages de Jiří Trnka vus sur le poste de
télévision : « Le Prince Bayaya », il me semble, et « Les
Vieilles légendes tchèques », peut-être. Le souvenir est lointain et je ne
suis pas certain des titres. Ce qui m’a profondément marqué, c’est la magie, il
n’y a pas d’autre mot, qui se dégageait de ces œuvres et la grâce qui touchait
les personnages de bois tellement expressifs2. Depuis cette époque,
je me mis à aimer les marionnettes et à me passionner pour les films
d’animation.
Pendant de nombreuses années, j’ai espéré retrouver
ce délicieux souvenir enfantin. Je suis allé plusieurs fois à Prague – la
première fois en 1971 – avec le sentiment de découvrir la patrie de Trnka et
j’y ai rencontré des Tchécoslovaques qui connaissaient et aimaient l’artiste
mais je ne dénichai aucun document le concernant mis à part deux séries de
cartes postales : une sur « Dobrý voják Švejk » (Le Brave soldat
Chveik) et une autre sur « Špaliček » (L’Année tchèque) ainsi que
quelques livres pour enfant dont le merveilleux « Zahrada » (Le
Jardin) qui fut adapté au cinéma en 1974/1977 par Břetislav Pojar. En France,
on rencontre assez facilement des livres de contes illustrés par Trnka comme
les contes d’Andersen ou ceux des frères Grimm par exemple. Ils sont édités
chez Gründ. Je conseille aussi « Pierre et le loup » pour ses dessins
frais et colorés dans une édition probablement difficile à trouver : La
Farandole, en 1970. L’impression est, encore à ce moment-là, de grande qualité.
Je cherchai longtemps, aussi, des ouvrages
sur mon cinéaste et ne trouvai que quelques articles, des brochures et,
finalement, le « Jiří Trnka » publié par Fantasmagorie production qui
est l’ouvrage le plus important que je me suis procuré. Je sais que la
collection « Anthologie du cinéma » lui a consacré un numéro signé
Jean-Marc Boillat (Anthologie du cinéma, n° 79, sorti en supplément au n°
149-150 de l'Avant-Scène Cinéma qui est essentiellement consacré à la
« Planète sauvage » de René Laloux et Roland Topor) mais je ne le
connais pas.
Du côté des films, quelques-uns figuraient
sur les répertoires des films proposés aux ciné-clubs par l’Ufoleis. Ainsi,
celui de 1972/1973 annonçait « L’Année tchèques », « Prince
Bayaya », « Le Rossignol de l’empereur de Chine » et « Les
vieilles légendes tchèques » dans les longs métrages pour enfants ou
encore « L’Archange Gabriel » et « La Main », dans la liste
des courts métrages. La télévision oublia défini-tivement, semble-t-il, les
œuvres de Trnka. C’est dans le cadre d’un cycle « Marionnettes au
cinéma » qui se déroula au printemps 2007 à la Cinémathèque française, que
je pus revoir « Le Prince Bayaya » et découvrir « Les Aventures
du brave soldat Chveik » qui fut projeté en 16 mm, « La Chaumière en
pain d’épices » et « Le Moulin du diable ».
Les éditions des films de Trnka sont confidentielles !
Quelques œuvres sont sorties en cassettes VHS puis en DVD chez les américains
mais je ne connais aucune autre édition. « Emperor's
Nightingale » (Le Rossignol de l’Empereur de Chine) fut édité
en VHS, en 1997 (je ne connais pas d’édition antérieure) puis en DVD (en 2000).
« The Puppet
Films of Jiri Trnka » fut également édité en cassette VHS et en
DVD (en 2000).
Je ne connais pas non plus d’édition super 8 mm des
films de Trnka par contre mes recherches de collectionneur me permirent, et
c’était pour moi inespéré, de trouver, en 16 mm, « Le Rossignol de
l’Empereur de Chine » chez Fred Karali3 – avec des couleurs
virées malheureusement mais dans une copie en bon état – puis « L’Archange
Gabriel » dans une copie magnifique et enfin une copie usée mais
acceptable de ce que beaucoup considèrent comme le chef-d’œuvre de Trnka,
« La Main ».
Quelques repères
Jiří Trnka est donc né à Plzeň-Petrohrad
en 1912 d’un père ferblantier et d’une mère couturière. On pourrait s’amuser à
attribuer son gabarit de colosse au côté paternel et sa douceur et sa grande
délicatesse au côté maternel car il s’agit bien d’un géant aux doigts de fée.
En 1923, il est
remarqué par Joseph Skupa, professeur de dessin qui dirige aussi un théâtre de
marionnettes, et devient son élève. En 1928 il entre à l’école des arts
appliqués de Prague. Il se consacre essentiellement aux dessins de journaux et
aux caricatures mais revient de temps en temps aux marionnettes chez Skupa.
En 1936, Trnka
dirige son propre théâtre de bois et l’installe dans la salle Rokoko qu’il loue
à Prague. L’expérience dure un an.
C’est en 1945 que Trnka rencontre une
équipe d’animateurs avec lesquels il fonde le groupe « BRATŘI V
TRIKU » (Les Frères en tricot qui signifie également trucage). On trouvera
dans l’équipe : Ed. Hoffman (« La Création du monde »), Jiří
Brdečka, V. Bedrich, Zdenek Miler (« La Petite taupe »)… et aussi
Josef Lada et Josef Čapek qui sont très connus en Tchécoslovaquie.
C’est encore en 1945 que Trnka réalise
son premier film d’animation « Grand-père a planté une betterave » en
dessins animés et marionnettes et c’est en 1947 qu’il réalise son premier long
métrage avec des marionnettes animées « L’Année tchèque ».
Jiří Trnka nous a quittés le 30 décembre
1969.
En 1979, Annecy présenta une exposition
(préparée par la Galerie nationale de Prague) en son hommage, au Palais de l’Isle.
Ma
Collection :
Les
cartes postales :
L’Année tchèque (carte n°16 – série
de 21 cartes au moins).
Le Brave soldat Chveik (carte n°2 –
série de 15 cartes au moins).
Les Livres pour enfants :
Documents :
Les Films :
Contes d’Andersen – Gründ-Paris – 1977.
Les Contes du jardin enchanté – 1956.
Les Contes des mille et une nuits – 1958.
Pierre et le loup – La Farandole – 1970.
Zahrada – Albatros – 1962.
Catalogue des dessins animés, Film
Tchécoslovaque d’Etat, années 1960.
Les Films :
DVD :
The Puppet Films of Jiří Trnka (Rembrandt Films)
Le DVD ne propose pas de sous-titres et
les images sont de médiocre qualité.
Il réunit :
« Le
Rossignol de l’Empereur de Chine » (cf ci-après)
Le commentaire en Anglais de Phyllis
McGinley est dit par Boris Karloff.
« Le
Roman de la contrebasse » (Román s basou)
Marionnettes - 1949 - 398 m
D’après le conte d’Anton Tchékhov
Alors
qu’elle se baignait dans la rivière, une noble demoiselle se voit voler ses
vêtements par des brigands. Elle se réfugie dans l’étui d’une contrebasse et
est ainsi apportée dans le palais où doivent être célébrées ses fiançailles à l’insu
du musicien timide qui l’expose involontairement aux regards des convives.
(Jean-Pierre Berthomé - Jiří Trnka –
Fantasmagorie – 1981)
« Le
Chant de la prairie » (Árie Prérie)
Marionnettes – 1949 – 616 m
Parodie
(jusque dans la musique) de « La Chevauchée fantastique » dans
laquelle se retrouvent tous les poncifs du western : le héros meneur de
lasso, le joueur de cartes, le robuste conducteur de diligence et l’innocente
vierge enlevée par un bandit vêtu de noir.
(J-P Berthomé)
« Le
Joyeux cirque » (Veselý cirkus)
Papiers découpés – 1951 – 384 m
Sur
la piste du cirque se succèdent les attractions : phoques, jongleurs,
écuyère, homme-orchestre, acrobates, ours danseurs.
(J-P Berthomé)
« Un
verre de trop » (0 skleničku víc)
Marionnettes – 1954
Ce chef-d’œuvre réalisé pour prévenir
des méfaits de l’alcool sur la route, est de Břetislav Pojar ; Trnka y a
collaboré.
« La
Main » (cf ci-après)
Et
le documentaire : Jiří Trnka :
puppets animation master réalisé à l’occasion de la sortie du DVD (édité par
Michael J. Sudyn) et dont l’intérêt est d’y voir Trnka dans ses décors,
manipulant ses marionnettes. On y découvre aussi quelques-unes de ses peintures
et on le voit dessiner.
Copies
16 mm :
« Le
Rossignol de l’Empereur de Chine »
(Císařův
slavík)
Prises de vues réelles et Marionnettes –
1948 – 2069 m – Agfacolor.
Réalisation et maquette : Jiří
Trnka
Scénario : Jiří Trnka et Jiří
Brdečka d’après le conte de Hans-Christian Andersen.
Animation : Břetislav Pojar
Réalisation des séquences réelles :
Miloš Makovec
Musique : Václav Trojan
Commentaire français écrit et dit par
Jean Cocteau
Le jeune Empereur
de Chine, ingrat, préfère le clinquant oiseau mécanique en or au plus beau
rossignol de son empire. Ce sont les rites, le goût du luxe et la vie réglée et
monotone de la cour qui l’amenèrent inévitablement à faire ce choix car le joli
rossignol symbolise la liberté mais aussi, pour lui, l’aventure, effrayante, et
l’inconnu.
Il sera rongé par
l’ennui et les regrets et c’est tout de même le merveilleux chant du rossignol qui
l’arrachera à la mort.
La première
partie qui met en scène, en prises de vues réelles, un jeune garçon solitaire,
parmi des objets que nous retrouverons ensuite, introduit habilement
l’histoire.
A l’instar d’un
petit opéra, « Le Rossignol de l’empereur de Chine » réunit les
talents de plusieurs artistes.
Il y a le travail du musicien, Břetislav Trojan, qui est
de première importance dans ce film. A noter le chant du rossignol, envoûtant, qui
contraste avec celui de l’oiseau mécanique, joli mais dont le thème enfantin
finit par devenir insupportable à force de se répéter.
Il y a bien sûr le créateur des images
magnifiques. Les premières, où l’on voit le rossignol chanter sous le regard
charmé d’un pêcheur, sont un peu dans l’esprit des films d’animations chinois
réalisés au lavis par Te Wei.
Et puis il y a le commentaire de Jean
Cocteau qui convient parfaitement au film de Trnka.
Ce très beau film d’animation reçut
plusieurs prix :
- Le Prix National au Festival International
du Film de Mariánské lázné en 1949.
- Le Prix Méliès à Paris en 1950.
- La Bobine d’Or du Conseil National
Américain du Film à New-York en 1955.
- Le Prix du meilleur film de concours
au Festival International du Film de Locarno en 1955.
« L’Archange
Gabriel et madame l’Oye »
(Archanděl Gabriel a paní Husa)
Marionnettes - 1964 - 803 m
Scénario et réalisation : Jiří Trnka
d’après un conte de Giovanni Boccacio.
Musique : Václav Trojan
En introduction,
le générique se présente sous la forme d’un petit dessin animé autonome qui
n’est pas sans rappeler le film de
Pasolini tiré du Decameron de Boccace.
L’histoire se passe à Venise, sous la
renaissance. Madame L’Oye est dévorée par une véritable passion pour l’Archange
Gabriel. Le moine qui reçoit sa confession - un homme étrange d’une laideur
repoussante - s’éprend de la belle pécheresse. Il se déguise en Archange
Gabriel et s’introduit chez elle pour la séduire. Les trois frères de la belle
démasqueront l’imposteur pour qui tout finira mal.
Les décors, les lumières et les costumes
sont splendides. On songe au « Casanova » de Fellini.
Les grands
animateurs, parmi lesquels on peut classer Trnka, se reconnaissent à
l’inventivité dont ils font preuve dans l’animation de leurs personnages. En
effet, ils ne cherchent pas à reproduire la réalité mais ils donnent vie à des
personnages ou des objets inanimés.
La façon dont Dame l’Oye tortille son
derrière lorsqu’elle se déplace fait partie des plus belles animations que je
connaisse. A la fois amusante et érotique, elle confère au personnage une
personnalité singulière très forte. On pense au déplacement de la super girl
martienne, interprétée par Lisa Marie, dans « Mars attaque » de Tim
Burton.
« L’Archange Gabriel », œuvre
assurément érotique, est la preuve, s’il en faut, que les films d’animation ne
sont pas réservés aux enfants.
Dame l’Oye est le personnage le plus
érotique de Trnka. Elle possède des seins capables de se gonfler quand elle
soupire.
« La
Main » ((Ruka)
Marionnettes - 1965 - 511 m
Scénario et réalisation et maquettes : Jiří
Trnka
Musique : Václav Trojan
Arlequin
le potier soigne amoureusement une fleur dans sa maisonnette. Une main gantée
de blanc s’y introduit pour lui ordonner de sculpter son image. Il refuse, puis
se résigne et, enfermé dans une cage d’or, entreprend le portrait demandé. Il
se révolte pourtant contre la Main qui le tyrannise et s’enfuit vers sa cabane
où, blessé par le pot de sa fleur que lui a jeté la Main, il meurt. La Main lui
fait des funérailles officielles.
(J-P Berthomé)
Ce film est le dernier réalisé par
Trnka. Il est remarquable par sa sobriété : deux personnages (trois avec
la fleur), deux lieux (la cabane et l’extérieur – abstrait – de la cabane), une
idée : la liberté de créer contrariée par un despote symbolisé par une
main gantée de blanc. Esthétiquement parfait, c’est son côté allégorique qui
prime sur la poésie.
La bande son est très travaillée avec
ses bruits (parfois en hors champ), et la musique inquiétante de Trojan.
Il a été classé second, derrière
« Le Sous-marin jaune » de George Dunnig et ex aequo avec
« Ersatz » du Yougoslave Dusan Vukotic au classement des meilleurs
films d’animation du monde effectué en 1971 à Bucarest4.
Bibliographie :
- « Jiří Trnka » : revue
Fantasmagorie n°5 – 1981.
- « Jiří Trnka » : dossier
paru dans « La Revue du Cinéma », n°229 – juin/juillet 1969 par
Josette Debacker.
- « Jiří Trnka » : fascicule
établi en 1966 par Mme J. Debacker pour le Ministère de l’Education Nationale
et de la Culture (Service cinématographique).
- « Hommage au cinéaste d’animation
tchèque Jiří Trnka » : catalogue de l’exposition du Palais de l’Isle
d’Annecy en 1979.
Je terminerai cet article en faisant trois
souhaits, celui de voir éditer une édition complète, en coffret DVD, de l’œuvre
magnifique de Jiří Trnka, celui de pouvoir visiter à Paris une grande
exposition rétrospective du maître et enfin celui de voir « Le Prince
Bayaya », ou « Le Brave soldat Chveik » de nouveau projeté aux « enfants
du cinéma ». n
[1] Jean Cocteau a
dit de lui : "Trnka - c'est le royaume de l'enfance et de la poésie."
Cette citation est peut-être tirée de son texte « L’Âme de Trnka » (Les Lettres
françaises - n°773 du 14 mai 1959). Par Ailleurs, Cocteau
est l’auteur du commentaire français du « Rossignol de l’Empereur de
Chine » (1948). C’est lui également qui dit le commentaire. Le texte a été
intégralement publié dans la revue « L’Avant-Scène Cinéma n°3 (15 avril
1961).
2 Les marionnettes
de Trnka sont constituées d’une armature métallique articulée par des rotules
que l’on peut serrer plus ou moins. Pour les corps, suivant les personnages,
l’armature était recouverte de bois, de mousse ou de latex (pour les corps
dénudés).
[1] La Bande des Cinés :
12 rue des Roses, 75018 Paris - Tél: 01 53 26 96 24 - http://www.bd-cine.com/
4 La consultation
fut organisée par les archives du film de Bucarest qui demanda à vingt et un
réalisateurs et à seize critiques ou historiens quels étaient les meilleurs films
d’animation, sans limite de date. (Ecran 73 n°11 – spécial animation)
(Article publié dans Cinéscopie n°28 - décembre 2012)
(Article publié dans Cinéscopie n°28 - décembre 2012)
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