a

a

La revue Cinéscopie, est une revue trimestrielle qui s’adresse aux amateurs de cinéma : cinéphiles et cinéphages, collectionneurs, cinéastes amateurs et autres curieux.

44 numéros ont été publiés de 2006 à 2016.

Ce blog vous propose de découvrir les anciens articles de la revue et quelques nouveaux textes publiés au gré de mes envies.


Les opinions exprimées dans les articles sont de la responsabilité de leurs auteurs. Elles ne représentent pas l’expression de la rédaction.

Translate

samedi 14 mars 2015

HISTOIRE - Les métiers du cinéma

HENRI MOIROUD, PHOTOGRAPHE DE PLATEAU

Par Roger Besson 

En 1993, un collègue de travail amena dans mon bureau un client en me disant qu’il avait bien connu Marcel Pagnol. Connaissant ma passion pour le cinéma, il avait compris que je serais intéressé. Ce monsieur, pas très grand, le cheveu grisonnant, avec des yeux malicieux derrière ses lunettes inspirait tout de suite la sympathie. Ce fut le début d’une amitié qui dura jusqu’en 1997 (date de mon changement d’affectation).


 
Henri Moiroud, Marcel Pagnol, Jacqueline Pagnol et un guide d'Allauch (de gauche à droite) posent dans la garrigue, 1945 (www.archives13.fr)

Henri Moiroud m’explique qu’il avait été photographe de plateau notamment de René Clair (film « AIR PUR » resté inédit). Il fut ensuite occupé pendant un an au Service Cinématographique des Armées. Il utilisait un appareil à photo Rollei ce qui le différenciait de ses collègues photographes de plateau qui se servaient de grosses chambres sur pied, difficiles à déplacer. Pagnol fut intéressé par cette technique et confia à Henri Moiroud la prise de clichés de « LA FILLE DU PUISATIER » dont toutes les photos connues sont de lui. Il a également photographié « MANON DES SOURCES » (avec Jacqueline Pagnol). Nous lui devons aussi les rares clichés du film « LA PRIERE AUX ETOILES » de Pagnol, jamais projeté.
Sachant que j’avais une maison dans le Luberon, Monsieur Moiroud me parla du tournage à Lourmarin de « ARLETTE ET L’AMOUR » en 1943 (dialogues de Marcel Pagnol) où il photographia Josette Day. J’ai pu voir d’elle des photos très belles.

Il m’a raconté que Pagnol l’avait contacté pour photographier « LES LETTRE DE MON MOULIN » ce qu’il ne put accepter étant déjà engagé sur le tournage de « ATOLL K » avec Laurel et Hardy et Suzy Delair réalisé à Marseille et à Nice.


Laurel et Hardy dans Atoll K.

Lettre de Pagnol à Moiroud (collection R. Besson)

Je rendais souvent visite au domicile d’Henri Moiroud. C’était un véritable plaisir de voir accrochées au mur de très grandes photos qui auraient fait le bonheur des cinéphiles : Laurel et Hardy en balade sur la promenade des Anglais, Henri Moiroud et Oliver Hardy photographiés par Laurel, Josette Day en petite tenue, Gaumont et Louis Lumière avec Tino Rossi, clichés de Fernandel, de Raimu, de Suzy Delair …

2ème lettre de Pagnol à Moiroud (collection R. Besson)

J’ai découvert de nombreuses anecdotes sur des côtés insolites du cinéma.
Ne voulant pas collaborer avec les Allemands, Marcel Pagnol simula un accident (explosion d’un sunlight qui lui avait endommagé la vue) avec photo à l’appui, et témoignage de médecins. Je possède la photocopie de l’article de presse, inquiétant, sur cette supercherie.
J’ai reçu également une confidence sur le tournage du « GARDIAN ». Tino Rossi était doublé pour les scènes à cheval par un gardian. Celui-ci faisait cabrer le cheval ce qui était d’un bel effet et Monsieur Moiroud l’avait photographié. Tino Rossi voulut imiter cette performance, il réussit à faire cabrer la bête le temps d’un cliché mais il ne réédita pas la chose pour le film et c’est bien le gardian qui figure dans le film. Je possède la copie des 2 photos.

Sur le tournage de la « PRIÈRE AUX ÉTOILES » Marcel Pagnol avait admis exceptionnellement deux invités Pierre Benoit et sa femme. Habituellement Pagnol restait dans la cabine du son pour écouter la scène, mais à cette occasion, l’accessoiriste avait installé trois fauteuils en retrait de la caméra. Henri Moiroud les photographia, émerveillé du jeu de Josette Day et Pierre Blanchar. Le cliché fut confié à TOE (avec au dos un texte : « Monsieur et Madame Pierre Benoit assistent en compagnie de leur ami Marcel Pagnol au tournage de la Prière aux étoiles ») et parut dans les cahiers du cinéma. Quelques jours plus tard, la véritable Madame Benoit reçut la revue et constata les infidélités de son époux (il avait 56 ans et plus de 35 ans de mariage dixit Henri Moiroud). Elle téléphona  à Marcel Pagnol : « Marcel, Ne crois-tu pas que mon mari se suffit ainsi en sortant avec sa maîtresse sans que tu sois obligé de lui faire de la publicité ?...


 





Marcel Pagnol convoqua Henri Moiroud (c’était en 1941, il y avait peu de temps qu’il travaillait au studio). Il reçut quelques conseils pour devenir un bon journaliste. Il répondit « Monsieur Pagnol, en voyant ce couple si souriant, si détendu… du même âge… j’ai pensé… » .Pagnol l’arrêta net et lui confia à l’oreille « Tu as raison ! Quand on prend une maîtresse, on la prend jeune et jolie ! »
Henri Moiroud a rédigé pour ses petits enfants un cahier de souvenirs qu’il a intitulé « Une valse ». Il serait intéressant que sa famille fasse éditer ce travail.
J’ai amené au domicile de Monsieur Moiroud plusieurs journalistes qui ont ainsi rédigé plusieurs articles très intéressants. Parmi ces visiteurs, outre Fernand Meric producteur de films, le Directeur des archives départementales que j’avais avisé de l’intérêt de conserver cet ensemble de documents inédits.


 Fernandel pose pour Henri Moiroud qui le photographie, 1945 (www.archives13.fr)

Il faut savoir que pour chaque tournage, Monsieur Moiroud réalisait beaucoup de clichés. Le lendemain, après développement, il les présentait au réalisateur qui choisissait ceux qui l’intéressaient et les lui payait, le surplus (les invendus) restait la propriété du photographe.

Cette exceptionnelle collection de photos (plus de 5000 dont des Raimu, Fernandel…) suite à mon initiative a donc été acquise par les archives départementales des Bouches du Rhône, après qu’Henri Moiroud ait identifié chaque négatif. Des expositions ont été organisées dans la région.

Monsieur Moiroud nous a quittés en 1999, il me laisse le souvenir d’un formidable conteur d’anecdotes, d’une mémoire du cinéma : je pense à une revue de Mistinguett qu’il m’a dit avoir filmée et dont on a perdu la trace ; il m’a raconté aussi avoir tourné une séquence de Manon des sources l’opérateur étant parti.

Henri Moiroud m’a offert quelques documents, il a aussi photographié mon fils avec sa femme et son fils, une merveilleuse lumière illumine ce cliché : tout l’art d’Henri Moiroud

Il m’avait expliqué pour certains clichés en extérieur avoir réfléchi la lumière avec un bâton. Il s’insurgeait de voir publier ses photos sans qu’il soit même fait mention de son nom. Souhaitons qu’un jour, la profession cinématographique rende à Henri Moiroud la place qui lui revient. Lorsque je vois des cartes postales ou des documents tirés de ses photos de « La fille du puisatier » ou de « Manon des sources », je cherche attentivement mention de son nom et ne le trouve pas. Et pourtant ces photos sont très connues et appréciées.



Portrait de Josette Day par Henri Moiroud, 1941 ((www.archives13.fr)




 (Article publié dans Cinéscopie n°20 - Décembre 2010)













Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire