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La revue Cinéscopie, est une revue trimestrielle qui s’adresse aux amateurs de cinéma : cinéphiles et cinéphages, collectionneurs, cinéastes amateurs et autres curieux.

44 numéros ont été publiés de 2006 à 2016.

Ce blog vous propose de découvrir les anciens articles de la revue et quelques nouveaux textes publiés au gré de mes envies.


Les opinions exprimées dans les articles sont de la responsabilité de leurs auteurs. Elles ne représentent pas l’expression de la rédaction.

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mercredi 5 novembre 2014

HISTOIRE - Cinéphilie - Le regard de Louis Delluc

LE REGARD DE LOUIS DELLUC
Par Jacques Richard


Jusqu’en 1914, la production cinématographique en France s’adresse d’abord à un public avide d’émotions élémentaires, celles-là même que peuvent lui procurer dans le même temps les théâtres de quartier où l’on joue le mélodrame et le vaudeville polisson. Les spectateurs entrent dans les salles obscures pour passer un bon moment et sans toujours savoir ce qu’ils vont voir. Leurs journaux habituels ne leur proposent que des annonces flatteuses rédigées d’une encre quasi publicitaire par des chroniqueurs généralement stipendiés par les maisons de production. Point de critiques dignes de ce nom, analysant librement le bon comme le moins bon et justifiant leurs conseils. Les cinémas attirent le bon peuple et apparemment cela suffit.

Louis Delluc ne mange pas de ce pain là. Venu de son Périgord natal, il est arrivé à Paris en 1903, à l’âge de treize ans. Il voulait tellement devenir écrivain que ses parents, pharmaciens aisés, se sont installés avec lui dans la capitale pour l’aider à prendre son essor. Encore lycéen, l’adolescent Louis Delluc, féru de théâtre, écrit des pièces, des poèmes, et déjà des articles dans Comoedia illustré. Il se lie avec des acteurs et plus étroitement avec la créatrice du rôle de Sygne dans L’Otage de Paul Claudel, Eve Francis qu’il finira par épouser. Réformé, Louis Delluc échappe à la mobilisation de 1914. Il continue d’aller au spectacle mais le cinéma du tout venant ne l’intéresse pas. La révélation viendra en 1915 quand Louis Delluc découvrira Sessue Hayakawa dans le film de Cecil B. DeMille Forfaiture. Choc inattendu.

« Ah, que j’ai détesté le cinéma ! Avant la guerre, je n’y allais jamais, sinon contraint et forcé, avouera Louis Delluc. Il fallut Forfaiture pour tout démolir. Je m’aperçus à la fois de la beauté insoupçonnée de cet art et de l’incompréhension vigoureuse du public (…) Presque personne ne pensa de fait à la nouveauté absolue du cinéma, art complexe, subtil, rare, puissant et rebutant (…) Le cinéma est une merveille. » Par delà les défauts de ce film, qui ne lui échappent pas, Louis Delluc devine tout ce que peut devenir l’art nouveau. Il va se vouer à sa célébration. Il sera un vrai critique de cinéma, le premier sans doute.

Colette elle aussi, dans L’Excelsior, parle parfois des films qu’elle découvre et le musicologue Émile Vuillermoz a donné dès la fin de 1916 quelques critiques de cinéma au quotidien Le Temps, Mais Delluc officie régulièrement. Il entre en scène dans l’hebdomadaire Le Film le 25 juin 1917 en analysant très longuement un film de Miller et Thomas Ince, Illusion. Encore une production américaine. Louis Delluc n’a pas fini de célébrer le cinéma d’outre-Atlantique pour la fraîcheur et la vérité que lui confèrent des hommes comme Ince, DeMille, Chaplin, Fairbanks. À partir de mai 1918 il collabore à Paris Midi où sa verve ravageuse se donne libre cours, aux dépens de quelques valeurs françaises consacrées pour leur prestige au théâtre, telle Gabrielle Robinne. On commence à craindre Delluc dont l’ironie cinglante fait des ravages. Le 14 janvier 1920 commence à paraître Le Journal du Ciné-Club dont Louis Delluc est le rédacteur en chef et où il s’exprime largement. L’hebdomadaire Cinéa lui succèdera en mai 1921 et durera un peu plus d’un an. C’est là qu’il invente le mot ‘‘cinéaste’’, rejetant ‘‘écraniste’’ que propose le théoricien du cinéma Ricciotto Canudo à qui l’on doit en revanche l’expression ‘‘septième art’’. Delluc exercera par la suite son talent dans le quotidien Bonsoir.


Louis Delluc en 1923

Il a trouvé le temps d’écrire plusieurs livres consacrés naturellement au cinéma, au regard très personnel qu’il porte sur ce qu’il tient à considérer comme un art : Cinéma et Cie en 1919, Photogénie, Charlot, La Jungle du cinéma, où sont regroupés certains de ses articles, et enfin en 1923 Drames de cinéma, recueil des scénarios qu’il a lui-même mis en scène comme on le verra plus loin. Dans toutes ses critiques éclate sa passion pour le cinéma américain et la jeunesse que celui-ci insuffle à l’art muet. Delluc a des mots durs pour les Français à qui il reproche leur mauvais goût, leurs conventions vieillottes encore marquées par le théâtre. Même Feuillade le déçoit ; il considère qu’il ne fait rien d’intéressant depuis 1914. Max Linder, lui, est salué au contraire par Delluc comme « le grand homme du cinéma français. Je l’admire. C’est lui et même lui seul qui a approché avant les autres la simplicité nécessaire au ciné. Dans l’exécution de ses films, il a approuvé une intelligence étonnante que le présent justifie. Le mouvement des scènes, la schématisation des effets et des idées et surtout la forme de ses scénarios – la plupart sont d’une drôlerie certaine et parfois d’un vif esprit – ont annoncé depuis beaucoup d’années un type exact de comédie-bouffe cinématographique qui semble encore d’avant-garde puisqu’on n’a même pas su l’imiter et encore moins le perfectionner. Max Linder est allé jusqu’à mettre au point ses acteurs. C’est phénoménal. »

En 1918 Louis Delluc repère les novateurs : Jacques de Baroncelli, Germaine Dulac, Abel Gance, Marcel L’Herbier, Jean Epstein, André Antoine, artisans d’un cinéma en devenir, mais il se montre parfois bienveillant là où l’on ne l’attend pas, par exemple lorsqu’il voit en avril 1919 La Sultane de l’amour : « Il y a un cabaret turc qui n’est pas mal. Je crois que traité à la lumière artificielle il eût pris plus de vigueur car le décor est excellent et les groupements très nets. Certains mendiants sont remarquables. Pedrelli se bat bien, mais je le préfère dans ses palais et ses robes et ses rêveries de bord de mer. Il plonge avec une espèce d’art. »

Delluc semble s’écarter du champ de la critique, mais la liberté dont il dispose lui permet de s’épancher à profusion, sur des longueurs impensables dans la presse d’aujourd’hui. Après chaque projection ce méridional disert se plait à jouer avec les mots. Rien ne lui a échappé. Il a l’acuité visuelle du lynx et la faconde de Cyrano, mais son agilité verbale, loin de s’exercer à vide, reste au service d’une pensée maîtrisée. Ce faisant, Louis Delluc établit, dans l’esprit du spectateur qui le lit, quelques évidences fondamentales qui constituent son credo.


Eve Francis dans "Fièvre"

« Le mouvement de la vie et, s’il se peut, de la vie intérieure, voilà le but d’un art véritable et prenant. Ne cherchez pas à faire grand. Ne veuillez pas faire pleurer ou seulement pleurer vous-même devant l’écran. Écoutez votre sincérité. Elle parle mieux que vous. Mais il faut reconnaître qu’elle ne parle qu’à ses heures. » Le cinéma selon Delluc doit avoir une ‘‘force physique’’ à laquelle concourt la vérité de l’image. L’art muet, comme la musique, a besoin d’un compositeur qui donne au film son mouvement, son rythme. « Le cinéma est éminemment musical » Mais Louis Delluc se garde bien de donner des conseils précis. Le langage, la grammaire du cinéma, à chacun de les découvrir.




« La technique, rien de plus facile à posséder », écrit-il en 1918. Une suggestion tout de même : « Les grands metteurs en scène se sont mis à tourner constamment pendant le travail. Je pense même qu’il conviendrait de disposer deux ou trois appareils et opérateurs, suivant la même scène avec des champs différents et tournant sans arrêt. On trouverait dans le résultat de ce multiple travail des notes extraordinaires. » Mais rien sur le découpage du scénario et les mouvements d’appareil. Delluc se borne à parler de photogénie, en donnant à ce terme un sens très large : « Disons seulement que la photogénie est la science des plans lumineux pour l’œil enregistreur du cinéma. Un être ou une chose sont plus ou moins destinés à recevoir la lumière, à lui opposer une réaction intéressante : c’est alors qu’on dit qu’ils sont ou ne sont pas photogéniques. Mais le secret de l’art muet consiste justement à les rendre photogéniques, à nuancer, à développer, à mesurer leurs tonalités. C’est une entreprise – ou un art si j’ose m’exprimer ainsi – aussi complexe que la composition musicale, » note-t-il en 1920.

La technique, si elle existe, Louis Delluc la garde pour lui et ce n’est pas à ce niveau qu’il distribue les bons points et les mauvais ; il apprécie le résultat dans sa globalité. « La vérité lyrique de votre œuvre, (il s’adresse à Ince en 1918) avec ses visages, ses bêtes, sa matière inerte, son âme lumineuse et clairvoyante, ne s’analysent pas. On ne peut les critiquer, je pense, qu’en les égalant ou en les dépassant. Plus tard, on essaiera… » Delluc lui-même va montrer de quoi il est capable, en prenant le risque de s’exposer aux critiques. Il est maintenant la cible de son propre regard.

En rédigeant plus de scénarios qu’il n’aura le temps d’en tourner, il garde présente à l’esprit cette conviction que « les maîtres de l’écran sont ceux qui parlent au grand public » et non des esthètes confidentiels. Aucun spectateur ne peut rester indifférent au scénario de La Fête espagnole que Germaine Dulac réalise en 1919, drame pathétique où deux hommes vont s’entretuer pour les beaux yeux de Soledad (Eve Francis) qui partira avec un troisième. Ce film qui finalement le déçoit donne à Louis Delluc le désir de mettre en scène lui-même les suivants : Fumée noire, tentative trop ambitieuse qu’Eve Francis interprète encore, comme toutes les autres œuvres de son mari.

Dans Le Silence (1920), monologue en images, un homme attend la femme qu’il aime mais elle arrive trop tard. Fièvre (1921) réunit dans un bar à matelots de Marseille toutes les composantes d’un fait divers sanglant et c’est la première réussite absolue de Delluc, qui doit beaucoup à son principal interprète masculin Van Daele, comparable aux grands premiers rôles américains de l’époque. Le Chemin d’Ernoa fait participer à une histoire d’amour le paysage du pays Basque, et on arrive aux deux œuvres majeures de Louis Delluc : La Femme de nulle part (1922) où l’héroïne désabusée va à la rencontre de sa jeunesse en fuite, et L’Inondation (1923) où la montée des eaux du Rhône exaspère les passions humaines. Là encore la nature se conjugue à l’action. Ce film  vient  d’être présenté  lorsque, le 22 mars 1923, Louis Delluc est emporté par la tuberculose. Il n’aura vécu que 33 ans et la mort prive le cinéma français d’un de ses créateurs les plus originaux au moment où il vient enfin d’accorder son œuvre filmique à la très haute exigence de ses écrits critiques.  ■



* Les Écrits cinématographiques de Louis Delluc ont été édités en 1986 par la Cinémathèque française. À lire également : Marcel Tariol, Louis Delluc, coll. Cinéma d’aujourd’hui, Éditions Seghers 1965.

 (Article publié dans Cinéscopie n°12 - décembre 2008)



HISTOIRE - Animation - Le cinéma sans caméra

LE CINÉMA SANS CAMÉRA

Par Michel Gasqui






Et l’on inventa le Cinématographe utilisant de la pellicule cinématographique : bande souple en nitrate de cellulose pour commencer puis en acétate et tri acétate de cellulose. La mise au point de la technique de prise de vue cinématographique fut longue et parmi les difficultés qui durent être surmontées, la première fut la possibilité de photographier successivement un grand nombre d’images présentant des sujets en action, décalés légèrement d’une vue à l’autre. Le paradoxe qui me conduit à écrire cet article est que certains « cinéastes » se sont mis à réaliser des films en oubliant l’histoire du support qu’ils avaient entre les mains, en abandonnant le matériel de prise de vue, la caméra, et en effaçant, le plus souvent, la couche photo sensible qui devait permettre cette prise de vue, pour ne conserver que la bande souple perforée et créer des images dessinées ou peintes une à une, dans la tradition d’Emile Reynaud. Mais qu’est-ce qui poussa ces artistes à adopter cette technique digne des détourneurs d’images, des bricoleurs et autres expérimentateurs de tout poil ?

Qui fut le premier à tenter de réaliser ces « peintures sur celluloïd » ?

Le Néo-Zélandais Len Lye entreprit son premier dessin animé non figuratif en 1928 (Tusalava) mais avec la technique traditionnelle de l’animation. Auparavant, Viking Eggeling a fabriqué, en 1921, son « Horizontal-Vertikal Orchestra », suivi de la « Diagonal Symphonie » (en 1923), Richter a animé des formes dadaïstes et Fishinger a ouvert les voies de la musico-ciné-peinture. Tous travaux relevant de l’expérimentation et du non-conformisme mais n’ayant pas de relation directe avec le cinéma sans caméra. Le rapport est l’attrait exercé par la recherche picturale abstraite liée au mouvement au rythme et à la musique. Ensuite, Len Lye réalisa, en 1935, Colour Box, une expérience de cinéma sans caméra où il synchronise rythmes musicaux et dessins directs sur pellicule. Le film gagna un grand prix au festival international de Bruxelles. L’artiste était influencé par l’art moderne et l’art tribal primitif. Il s’intéressait ainsi à l’art maori, aborigène et polynésien.






Colour Box (Len Lye, 1935)

Oskar Fishinger, contemporain du Bauhaus, de Walter Ruttman et de Hans Richter, a eu une grande influence, par ses recherches plastiques et sonores, sur Norman McLaren. Le peintre étudia la possibilité de créer la peinture en mouvement par le biais du cinéma. Il créa un appareil pour réaliser des films abstraits expérimentaux. Il fallait placer un conglomérat de cires colorées en forme de parallélépipède sur une sorte d’affûteuse dont la lame agissait en tournant. La caméra dont l’obturateur était synchronisé avec le mouvement de la lame était montée face à cet assemblage. De cette façon, on pouvait filmer, taille après taille, les aspects changeants, tracés par les veinures à l’intérieur du bloc de cire.




Norman McLaren

Concernant la possibilité de reproduction du son synthétique sur pellicule, L. Moholy Nagy aborda la question dans deux articles publiés en Allemagne et en Hollande. Plus tard, le théoricien allemand Ernest Toch suggéra l’écriture directe du son sans le musicien, etc.
Mais c’est le Suisse Rudolf Pfenninger qui le premier influença McLaren avec le film Toenende Handschrift (L’Ecriture sonore). Celui-ci se composait d’une description de son système pour photographier un dessin en dents de scie sur la surface d’une bande son. Et d’un film d’animation avec une bande son synthétique.

En réalité la recherche de ces artistes cinéastes était plus dans la « mise en mouvement » des formes inertes, dans la recherche sur le mouvement que dans la recréation du mouvement. Nous sommes avec cette technique (ou ces techniques) dans deux problématiques différentes. Emile Reynaud avait bien recréé le mouvement avec des dessins animés alors que les cinéastes expérimentaux précédemment cités avaient élu le mouvement comme sujet de leurs travaux artistiques. Len Lye déclarait, durant ses études à Wellington : « … J’avais mon sujet favori, c’était le mouvement. J’inventait sans cesse mes propres exercices pour ce genre de développement ».
Norman McLaren en tant que bricoleur de génie se situe, à mon avis, entre les deux et c’est peut-être la raison pour laquelle il est le plus connu, le plus populaire. Norman McLaren fut influencé par les artistes surréalistes, en général, par Oskar Fischinger, par Len Lye mais aussi par les cinéastes d’animation Emile Cohl et Alexeieff et par les cinéastes soviétiques Poudovkine et Eisenstein. On peut considérer qu’il était cinéaste dans l’âme.

Colour Box de Len Lye fut-il le premier film dessiné directement sur pellicule ? Oui si on ne tient pas compte d’un film réalisé par Norman McLaren en 1933 perdu depuis et surtout, si l’on oublie La Revanche des esprits (1911) d’Emile Cohl réalisé avec du « grattage » sur pellicule.

Parmi les artistes/cinéastes ayant travaillé directement sur la pellicule, on peut citer :

- L’Américain Harry Smith, sorte d’alchimiste cinéaste qui a réalisé une œuvre unique en perpétuelle évolution dans laquelle des morceaux furent peints sur pellicule (en 1939) – d’après G. Bendazzi.




Pierre Hébert (au centre)

- A l’ONF, Pierre Hébert réalisa plusieurs films sans caméra : Histoire verte et Histoire d'une bébite (1962), Op Hop - Hop Op (1966), construit à partir de répétitions combinatoires de séries d'images. En 1982, Pierre Hébert réalisa Souvenirs de guerre, une histoire antimilitariste dont la majeure partie est gravée sur pellicule.

- Raymond Brousseau : a gravé deux films axés sur l'abstraction géométrique (Dimension soleils, 1970 et Points de suspension, 1971).

- André Leduc a dessiné sur pellicule La Bague du tout nu (1974).

- En 1985 Solveig von Kleist réalisa un film de 5 minutes en 35 mm : Criminal Tango. C’est une des rares illustrations d’animation sur pellicule par grattage, à des fins narratives. L’auteur gratta ses dessins avec une aiguille à coudre et pour les décors devant être reproduits, elle utilisa du papier stencil.




Criminal Tango (Solveig von Kleist, 1985)

- Caroline Leaf réalisa de la gravure sur pellicule 35 mm monochrome avec I met a man en 1978 (1 minute) et Entre deux sœurs en 1990 - sur pellicule 70 mm couleur, 10 minutes. Le film était ensuite réenregistré avec une caméra 35 mm (format plus « maniable »). Avec Entre deux sœurs, Caroline Leaf atteint une finesse de gravure exceptionnelle.




 Caroline Leaf

 - Quelques cinéastes indépendants canadiens, dont Richard Reeves (Linear Dreams, 1996) et Steven Woloshen (Cameras Take Five, 2003), ont acquis une solide réputation grâce à leurs films animés sans caméra.
- Dans le milieu du cinéma d’amateur, un collectionneur cinéaste de talent réalisa directement sur pellicule des histoires inédites créées entre autres avec les personnages de Forton, Les Pieds Nickelés. Il s’agissait de René Charles     et je lui consacrai un article dans la revue Infos-Ciné (numéro 52, décembre 2002). René Charles réalisa 16 films dessinés directement sur pellicule 35 mm allant de 5 à 15 minutes.




Between two sisters (Caroline Leaf, 1990)

Films de Norman McLaren réalisés sans caméra

L’auteur présente lui-même ses films comme étant expérimentaux. Les quelques commentaires qui parsèment cette filmographie sont propres à l’auteur de l’article et donc totalement subjectifs. Les notes techniques sont, pour une grande part, issues des commentaires accompagnant les films du coffret « L’Intégrale  de Norman McLaren »[1].

1938 : Love on the wing, 35 mm couleur (système Dufaycolor), 4’27’’ : métamorphose de dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal.

1939 : NBC Valentine greeting, 35 mm, noir et blanc, 1’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Inversion au tirage (dessin blanc sur fond noir).
A l’instar de Fantasmagorie d’Emile Cohl, il a en germe toute l’œuvre de McLaren dans ce film « primitif ».

1939 : Scherzo, 35 mm couleur, 1’25’’ : images et sons dessinés à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Boogie Doodle, 35 mm couleur, 3’18’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Loops (Boucles), 35 mm couleur, 2’39’’ : images et sons dessinés à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.

1940 : Spook sport, 35 mm couleur, 7’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Fonds filmés au zoom avec travelling (superpositions continues). Couleurs ajoutées au tirage. Réalisé en collaboration avec Mary-Ellen Bute.






1940 : Stars and stripes (Etoiles et bandes), 35 mm couleur, 2’17’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Le drapeau américain est à l’évidence le sujet du film, avec sa musique militaire, ses feux d’artifices qui ressemblent à des explosions d’obus.
Le sujet est dans le titre, pourquoi ne pas en profiter ? (N. McLaren).

1941 : Mail early, 35 mm couleur, 1’44’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples en travelling.

1941 : V for Victory, 35 mm couleur, 2’04’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Le message du film était de faire vendre des bons de la victoire.

1942 : Hen Hop, 35 mm couleur, 3’39’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Un film savoureux, frais, drôle et au rythme soutenu.

1942 : 5 for 4, 35 mm couleur, 2’52’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Couleurs ajoutées au tirage.

1943 : Dollar dance, 35 mm couleur, 4’05’’ : métamorphose de dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparente 35 mm. Fonds filmés au zoom avec travelling (superpositions continues). Fonds de nuages en papiers découpés filmés sur banc d’animation à plans multiples, en panoramique horizontal. Couleurs ajoutées au tirage.

1946 : Hoppity Pop, 35 mm couleur, 1’47’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur trois bandes de pellicule transparente. Ces trois bandes ont été combinées au tirage. Couleurs ajoutées au tirage.
Les configurations abstraites sont tracées directement sur pellicule, en synchronisation avec de la musique d’un orgue de Barbarie.
Il y a déjà, derrière cela, Emile Cohl et aussi Félix le Chat. Comment donner de la vie et de l’humour à des formes géométriques ?

1947 : Fiddle-de-dee, 35 mm couleur, 3’33’’ : animation de peinture appliquée en longueur et cadre par cadre sur pellicule transparente 35 mm.
Les éléments sont dessinés peints et grattés au son de la musique d’un violoneux, Eugène Desormeaux.
Il s’agit d’une danse, parfaitement en phase avec la musique, exécutée par des formes et des couleurs. Le rythme est enlevé et on ne s’ennuie pas une seconde.

1949 : Begone dull care (Caprice en couleurs), 35 mm couleur, 7’48’’ : peinture appliquée en longueur et cadre par cadre sur pellicule transparente 35 mm. Gravure sur pellicule noire 35 mm.
Trois pièces de jazz du trio d’Oskar Peterson, éléments visuels peints, dessinés et gravés sur pellicule par Norman McLaren et Evelyn Lambart.
Les signes, les formes, les taches et les couleurs sont en parfaite harmonie avec la musique de Peterson.
 







1955 : Blinkity blank, 35 mm couleur, 5’15’’ : Jeu sur la « persistance de la vision » et « l’après-image » dans la rétine de l’œil. Les images sont gravées et coloriées sur une pellicule noire opaque, avec une musique en partie improvisée de Maurice Blackburn. 
Un feu d’artifice, tendre et délicat allié à une très grande maîtrise technique font de ce film un joyau et un des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. La très belle musique de Maurice Blackburn et les images de McLaren sont en totale harmonie. Avec Blinkity blank, on atteint le « Cinéma total » et on peut dire que la musique est interprétée par un orchestre rassemblant quatre instruments à vent, un violoncelle, de la musique synthétique et des images gravées sur fond noir.

1956 : Rythmetic, 35 mm couleur, 9’35’’ : animation de chiffres blancs découpés sur fond noir. Il s’agit d’une collaboration de Norman McLaren et d’Evelyn Lambart et le son est gravé directement sur la pellicule.

1959 : Short and suite, 35 mm couleur, 4’47’’ : formes grattées, gravées et dessinées sur une musique de jazz de Eldon Rathburn.
Ce film possède une grande maîtrise de la forme, du rythme et du mouvement, je dirais presque au service de la musique.
 
1959 : Serenal, 16 mm couleur, 4’00’’ : McLaren utilise une foreuse pneumatique pour inscrire ou graver directement sur pellicule opaque la représentation des rythmes d’un orchestre populaire des Antilles. Il se sert d’un graveur comparable à celui dont se servent les graveurs forains.
Projetés dans une salle très obscure où l’on ne distinguait même plus l’écran, les signes blancs que faisait jaillir, par intermittence, le projecteur, ont vivement impressionné les spectateurs.
Les images sont répétitives et relativement ternes dans la première moitié du film. Elles deviennent sobres et splendides dans la seconde moitié.

1959 : Mail early for Christmas, 16 mm couleur, 40’’ : message de Noël du bureau de poste gravé sur la pellicule noire à l’aide d’un graveur. Le coloriage est effectué à la main. La musique est d’Eldon Rathburn. Ce message nous adresse quelques « implosions » subliminales de lettrage gratté à la main.

1960 : Lines vertical (Lignes verticales), 35 mm couleur, 5’50’’ : gravure sur pellicule noire 35 mm. Couleurs ajoutées au tirage.
Longs traits gravés à l’aide d’un stylet et d’une règle sur pellicule noire 35 mm. La couleur de fond est ajoutée par un procédé optique. La musique, composée et interprétée par Maurice Blackburn, sur un piano électrique, est incorporée en dernier.

1961 : New-York Ligntboard, 16 mm noir et blanc et muet, 8’59’’ : dessins à la plume et à l’encre de Chine sur pellicule transparent 35 mm. Feuilletoscope dessiné au stylo feutre.
Il s’agit d’une publicité touristique pour le Canada affichée sur le grand panneau lumineux de Time square à New-York.

1962 : Lines horizontal (Lignes horizontales), 35 mm couleur, 5’50’’ : rotation de 90° des lignes en noir et blanc du film Lignes verticales. Couleurs ajoutées au tirage.
La musique est de Peter Seeger, ce qui peut rappeler quelques souvenirs pour certains.

1965 : Mosaïc (Mosaïque), 35 mm couleur, 5’28’’ : copies noir et blanc de Lignes verticales et Lignes horizontales superposées optiquement. Couleurs ajoutées au tirage. Scintillements de couleurs. Son gravé sur pellicule noire 35 mm. Réverbération ajoutée lors de l’enregistrement.


Sources : Document festival d’Annecy 1983 – Mystère d’un cinéma instrumental par André Martin - Document festival d’Annecy 1963 – Notes et documentation rassemblés par Sophie Bataille – Norman McLaren, précurseur des nouvelles images par Alfio Bastiancich, Dreamland 1997 – Le Film d’animation, Giannalberto Bendazzi, La Pensée sauvage/JICA – L’Intégrale de Norman McLaren en DVD.




Ciné-fiche : Blinkity Blank. – 1955 - 1 page : 28 x 21,5 cm 
Ciné-fiche du film Blinkity Blank, réalisé par Norman McLaren en 1955. Le document propose une brève présentation du film, des motifs développés, des techniques utilisées, ainsi qu'un générique. Le document est en français.





Publié avec l’accord de Robi Egler, Les Ateliers de cinéma d’animation, éditions AAA-Animagination.




[1] Norman McLaren l’intégrale, coffret de sept DVD et un livret édité par le National Film Board of Canad (Office Nationale du Film du Canada). En vente notamment chez Heeza.


 (Article publié dans Cinéscopie n°12 - décembre 2008)